Une fois de plus, Tarantino a réécrit l'histoire. Comme il l'avait fait avec Inglourious Basterds et Django Unchained, le cinéaste américain profitait, en 2019, d'Once Upon a Time... In Hollywood pour apporter quelques modifications à cette année 1969 dont la dureté dénote avec la légèreté, du moins apparente, d'une décennie où tout a semblé possible.
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Plus d'un demi siècle après, l'année érotique reste, pour les États-Unis, celle de tous les contrastes : dans les airs, le pays s'apprête à conquérir la lune mais sur terre, il s'embourbe et la guerre au Viêt Nam est de plus en plus critiquée.
Les décès de Judy Garland ou de Jack Kérouac amplifient le sentiment de perte d'innocence et le festival de Woodstock peine, malgré son statut légendaire et un message fort, à faire oublier les drames de Beverly Hills et d'Altamont.
Avec sa caméra en guise de DeLorean, Quentin "Mc Fly" Tarantino semble avoir voulu revivre ses six ans pour mieux modifier le cours d'une histoire qui s'est écrite ans le sang. Son dixième film en tant que réalisateur revisitait, à travers Hollywood et ses villas cossues de Cielo Drive, l'Amérique de la fin des sixties en suivant le parcours de deux losers magnifiques, l'acteur Rick Dalton, voisin du couple Sharon Tate-Roman Polanski et sa doublure, Cliff Booth. Et une fois de plus, la trame narrative était renforcée par un élément de poids, une actrice à part entière : la musique.
Une place à part
Chez Tarantino, la bande-son a toujours occupé une place à part. A un point tel que le collectionneur de disques qu'il est ne laisse à personne le soin de s'occuper de cette composante : "Beaucoup de réalisateurs commencent comme moi : ils prennent des BO existantes, les présentent à un compositeur et disent "On veut que vous fassiez ça". Je me suis juste débarrassé du compositeur. Je ne [leur] fais pas confiance. L'idée de montrer un film fini à un type et de le payer pour qu'il fasse une musique... Et si ça ne me plaît pas ? Je ne laisserai jamais cette responsabilité à personne, la musique est trop importante." *
Ainsi parlait Tarantino, du moins dans les premières années de sa carrière. Une période où il piochait sa trame musicale dans sa propre discothèque ("Une des premières choses que je fais quand j'ai une idée de film (…), c'est plonger dans ma collection de disques. J'écoute des chansons, j'essaie de trouver la personnalité du film, son esprit. Cette musique que je cherche, c'est le rythme du film (...)" *).
Si le procédé fonctionne dès Reservoir Dogs (Coconut d'Harry Nilsson et surtout un Stuck In the Middle With You des Stealers Wheel devenus indissociables du bourreau Mr Blonde), c'est dans Pulp Fiction, Jackie Brown, voire Kill Bill qu'il atteint son apogée.
Archéologue du son
Avec le premier, et faute de pouvoir s'offrir les services d'Ennio Morricone (ce qu'il parviendra enfin à faire avec Les Huit Salopards en 2015), le réalisateur dépoussière Dick Dale et sa surf music (il fait la même chose plus loin avec The Centurians et Bullwinkle Part II). Misirlou devient le générique emblématique du deuxième long-métrage de Tarantino avant que les responsables de la saga Taxi ne s'en emparent, par paresse ou facilité.
Pulp Fiction permet, par ailleurs, de rappeler qu'avant les tubes de la période 1978-1986, Kool & the Gang était une redoutable machine jazz funk et Jungle Boogie, extrait de Wild & Peaceful (1973), est l'une des meilleures illustrations de cette époque où le groupe jouait dans la même cour que James Brown ou Funkadelic.
On retrouve également, dans la bande originale, la douceur de Rick Nelson, la voix suave d'Al Green. Urge Overkill revisite le Girl, You'll Be a Woman Soon de Neil Diamond pendant que Son of a Preacher Man de Dusty Springfield et If Love Is a Red Dress de Maria McKee atteignent des sommets.
Tout comme les Stealers Wheel sont désormais liés à Michael Madsen et, plus tard Bang Bang de Nancy Sinatra à Uma Thurman, Chuck Berry, du moins avec You Never Can Tell, est difficile à dissocier du tandem Thurman-Travolta. De la même façon, on imagine instantanément Bruce Willis/Butch au volant de sa voiture dès que résonnent les premières notes de Flowers on the Wall des Statler Brothers.
Plus axée musique noire américaine, la bande son de Jackie Brown fait une entaille à la règle d'or du metteur en scène de ne pas piocher dans ce qui a déjà été utilisé. Ainsi Across 110th Street de Bobby Womack a déjà servi de bande originale. C'était en 1972 pour le film éponyme mais le jeu en valait la chandelle.
Le millésime 1997 remet non seulement en lumière l'actrice Pam Grier mais aussi une collection de chansons dont Didn't I Blow Your Mind This Time des Delfonics (1969) est sans doute la plus belle (avec Strawberry Letter 23 des Brothers Johnson).
Affadie par les New Kids On the Block dans une cover datant de 1986, la chanson du trio de Philadelphie illustre une scène dans laquelle Max Cherry s'étonne de voir que Jackie Brown écoute encore des vinyles et non pas des compact discs. Contrairement à l'équipe de braqueurs de Reservoir Dogs dissertant sur l'éventuelle connotation phallique des paroles de Like a Virgin de Madonna, le tandem ne se lance pas dans un débat sur la chanson des Delfonics mais la scène donne à cette dernière une seconde jeunesse.
" C'est du Tarantino ! "
Dans ses productions récentes, Tarantino a eu tendance à avoir recours à des créations originales (les chansons composées spécialement pour Django Unchained) mais il a réussi, en 25 ans de carrière, un pari à la fois osé et difficile : faire rentrer certains standards de l'époque en se les octroyant indirectement.
Désormais, lorsque le public entend un morceau extrait d'un de ses films, sa réaction est quasi immédiate : "C'est du Tarantino !" Combien peuvent, en effet, citer le nom de l'album dont est extrait Goodnight Moon de Shivaree (I Oughtta Give You a Shot in the Head for Making Me Live in This Dump – pas la simplicité incarnée, on vous l'accorde –, ndlr) ? Qui se souvenait du regretté Jim Croce et de son I Got a Name paru seulement deux mois avant que son auteur se crashe en avion, en septembre 1973 ? Pour beaucoup, il aura fallu que la chanson figure dans Django Unchained pour que cette pépite country folk soit redécouverte.
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Once Upon a Time... In Hollywood revient aux basiques. Tarantino s'est remis à piocher dans son juke box perso qu'il exposait fièrement dans Boulevard de la mort. On y retrouve du Deep Purple première mouture (Hush, Kentucky Woman), du Simon & Garfunkel (Mrs Robinson), Vanilla Fudge (You Keep Me Hangin' On) ou les Box Tops (Choo Choo Train). Et si Michelle Phillips et Mama Cass Elliot des Mamas and the Papas sont présentes dans le film, la version de California Dreamin' que l'on entend au cours des deux heures et quarante-sept minutes est celle interprétée par José Feliciano.
Il n'y a pas de remplissage dans les BO de Tarantino. Chaque morceau sélectionné l'est pour de bonnes raisons sans jamais tomber dans la facilité. Sans ce souci du détail, il aurait sans doute, quitte à choisir un morceau des Stones, opté pour Sympathy For the Devil ou Midnight Rambler. Les deux morceaux étaient parfaitement en phase avec la toile de fond de l'intrigue. Or, le choix s'est porté sur Out of Time d'Aftermath et sa légèreté un poil machiste.
La facilité, Tarantino n'en abuse pas. En tout cas pour ce qui concerne la musique. Avec le temps, il s'est même autorisé quelques clins d'œil bienvenus à ses propres œuvres (l'étiquette Misirlou dans le jukebox de Boulevard de la mort).
Une façon de tisser un lien de plus avec le spectateur et de pousser, pourquoi pas, ce dernier à revoir les films à travers leur seul prisme musical. Sans doute le plus essentiel.
* Hors série Les Inrockuptibles, Il était une fois Tarantino.
